Elle considère que « transmettre et aider à transmettre nos savoirs et nos compétences font partie intégrante de notre mission ». Le professeur Ilhem Mili-Boussen a connu deux pays (la France et la Tunisie), a eu deux maîtres (le Pr Gabriel Coscas et le Pr Amel Ouertani) et une vocation unique pour l’ophtalmologie qu’elle ne cesse d’explorer et d’enseigner. Rencontre avec une passionnée insatiable.
Pourquoi avoir choisi l’ophtalmologie ?
Ilhem Mili-Boussen. J’avais commencé par l’anesthésie-réanimation, spécialité dont j’aimais le dynamisme et la complexité. Il me fallait retrouver ce rythme et cette richesse pour toute une carrière. À cette époque, l’ophtalmologie était une des spécialités les moins populaires. Ce qui m’avait attiré en elle, c’était son côté à la fois médical et chirurgical, et son lien avec tout l’organisme. Heureusement pour moi, au fil des années, ce choix s’est renforcé par l’aspect « multi facettes » de notre spécialité.
Après avoir été formée, entre autres, à Créteil, vous avez décidé de consacrer votre vie à l’hôpital de Tunis. Pourquoi ce choix ?
Ilhem Mili-Boussen. D’abord, pour une simple question d’engagement auprès de mon maître, le Pr Amel Ouertani : retourner en Tunisie après une formation de pointe à Créteil, centre de renommée internationale en rétine. C’est là où j’ai eu l’immense privilège et honneur de faire pendant 12 mois la consultation du lundi de feu mon maître, le Pr Gabriel Coscas pour lequel j’ai une pensée émue et une reconnaissance éternelle. J’ai été saisie par sa passion de l’enseignement et son engagement envers l’hôpital. Sa maîtrise psychopédagogique m’a fortement marquée : à partir d’une angiographie fluorescéinique de la rétine, il expliquait, debout dans le couloir, en provoquant un « embouteillage d’internes », toute la physiopathologie qui en découlait avec une aisance époustouflante. Et je me souviens également d’un week-end où j’étais d’astreinte : j’étais venue au service le samedi soir à 21h, le dimanche matin à 10h et l’après-midi vers 17h. Sa voiture était dans le parking et son bureau allumé à chaque fois.
Vous êtes très impliquée dans la formation de nos jeunes confrères … Quel est votre moteur, dans ces activités de formation ?
Ilhem Mili-Boussen. C’est après une lettre du doyen de la faculté qui voulait renforcer l’équipe pédagogique que je me suis retrouvée dans cette atmosphère. J’ai alors pris conscience que, dans l’enseignement comme dans le rôle de médecin, il y a à la fois un côté technique, pédagogique, et un côté humain, avec l’apprenant, très riches qui m’ont de plus en plus séduite : s’adapter à la diversité des apprenants, être présent, à leur écoute, les motiver et les faire avancer, puis les accompagner dans leur apprentissage d’enseignant, mais aussi remettre en question la pertinence de ce qu’on enseigne et de ses méthodes à travers les résultats obtenus. Cet échange permanent avec les jeunes générations, dans un esprit de partage, convivialité et empathie est tellement constructif et énergique ! Et puis transmettre et aider à transmettre nos savoirs et nos compétences font partie intégrante de notre mission, quel que soit le choix de carrière, chacun à sa façon tout simplement.
Vous êtes membre de sociétés savantes du monde entier. Comment voyez-vous la coopération entre, par exemple, la société française de rétine et les sociétés tunisiennes ?
Ilhem Mili-Boussen. La coopération entre sociétés scientifiques est essentielle pour améliorer la prise en charge de nos patients : le partage des expériences permet à chacun de capitaliser sur ce qu’il fait. Chacun apporte les résultats relatifs au contexte épidémiologiques et socio-économiques dans lequel il travaille : c’est ce qui permet d’avancer pour améliorer les moyens de dépistage, de trouver des médicaments moins chers accessibles à tous, de développer des réseaux d’échanges. La SFR, depuis sa création première, a toujours été un soutien incontestable à toute forme de coopération, et on s’en réjouit considérablement.
À l’aune de votre expérience, quel conseil donneriez-vous à un jeune ophtalmologiste ?
Ilhem Mili-Boussen. Question difficile ! D’abord, rester vigilant par rapport à nos engagements envers les patients : (1) il y a une confiance implicite qui s’installe dès que le patient consulte: il faut être et rester à la hauteur de cette confiance, (2) le patient vit dans un environnement socioculturel et économique: il est essentiel d’en tenir compte pour une observance thérapeutique optimale, (3) ne jamais oublier qu’un œil est fait pour voir : il faut en permanence vérifier ce qu’on fait, rien ne sert d’appliquer un traitement s’il n’est pas utile. Et pour finir, garder le cap sur ses objectifs, en s’adaptant aux surprises, aussi bien au coups durs qu’aux hasards heureux.
Comment concilier vos activités médicales, humanitaires, d’enseignement et une vie personnelle enrichissante ?
Ilhem Mili-Boussen. La réponse classique serait : avoir un planning bien ficelé. Certainement ! Je rajouterais être aidée et entourée par les bonnes personnes, aussi bien sur le plan professionnel que personnel.
Un génie apparaît et vous propose de faire 3 vœux. Quels seraient-ils et pourquoi ?
Ilhem Mili-Boussen. Très sympa cette question ! Un génie n’est-ce-pas, alors ça serait :
1- Des plateformes et des plateaux techniques d’apprentissage accessibles à qui le veut, notamment la chirurgie ophtalmologique
2- Décrypter les mécanismes et trouver la clé du traitement pour les pathologies encore cécitantes telles que uvéites, diabète, DMLA, glaucome, etc.
3- Permettre à tout médecin de s’épanouir pleinement en donnant le meilleur de lui-même pour chaque patient et pour chaque apprenant, car ce métier est avant tout une vocation, et il faut que ça reste comme ça !